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  • Rencontre avec Carole Zalberg - 14 octobre 2014

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  • Compte-rendu de la rencontre avec Carole Zalberg du 14 octobre 2014, par Laura Sellies et Thomas Goguet


     
    Carole Zalberg est née en 1965. Elle est l’auteure d’une douzaine de romans, dont certains destinés à la jeunesse. Elle est également, depuis juin 2014, secrétaire générale de la Société des Gens de Lettres.
     

    Des pérégrinations

    Attirée par l’anglais, elle commence des études de langues à l’université qu’elle quitte rapidement pour partir vivre aux États-Unis. Durant son séjour d’un an et demi là-bas, elle voyage et vit de petits boulots.
    À son retour en France, elle travaille comme journaliste puis devient assistante d’un producteur de télévision. Une histoire de tricherie l’éloigne de ce secteur. Elle déménage en Corse et continue le journalisme. De retour à Paris, elle travaille pour Politique internationale et traduit des textes en free-lance, écrit des textes de chansons... Elle décide ensuite de se consacrer uniquement à l’écriture. En juin 2014, elle devient secrétaire générale de la SGDL tout en poursuivant sa production littéraire.

    En 2001 elle publie son premier roman, Les Mémoires d’un arbre, aux éditions du Cherche Midi. Cette maison ne lui correspondant pas, elle choisit Phébus pour les deux suivants, Chez eux, publié en 2004 et Mort et vie de Lili Riviera paru en 2005. Phébus semble lui correspondre davantage, mais le catalogue de littérature française contemporaine reste mince et la maison connaît des bouleversements qui la privent de son éditrice d’origine. C’est ensuite un nouveau départ, pour Albin Michel cette fois-ci, où elle publie en 2008 La Mère horizontale et Et qu’on m’emporte en 2009. Albin Michel c’est « l’expérience de la très grosse maison », nous dit-elle. Mais qui dit grosse maison dit volonté de rendement économique très forte. Elle trouve enfin sa « maison de rêve » en ce qu’incarne Actes Sud, dont elle loue la politique d’accompagnement des auteurs et la richesse du catalogue.

    « J’ai fait un peu le tour, j’ai en plus trois éditeurs en jeunesse, mais en jeunesse c’est tout à fait normal, ce que d’ailleurs je trouve très sain. Je trouve que ce serait très bien, en adulte aussi, de pouvoir, en fonction du texte, re-signer le pacte chaque fois, pour être sûr que chacun a vraiment envie d’être là où il est. »

    Son dernier roman, Feu pour feu, Prix littérature monde 2014, travaille plus particulièrement la langue. Déclenché par plusieurs faits divers tournant autour de l’immigration, il les noue afin de réfléchir sur les effets d’écho entre deux drames et sur le thème de la transmission. Ce texte très court, pour lequel elle ne se pose pas la question du genre (roman, nouvelle, etc.) est accueilli par une collection particulière, Un endroit où aller. Grâce à cette collection qui accueille des textes au format atypique, le texte a pu être reçu pour ce qu’il est, sans détonner par rapport à des romans longs.

    Toutes ces pérégrinations, Carole Zalberg ne les regrette pas et c’est peut-être ce qui l’a conduite à s’intéresser à la Société des Gens de Lettres, afin – nous dit-elle – d’aider les autres auteurs en leur permettant d’être plus informés en amont.
     
     
    Société des gens de lettres : la SGDL

    Histoire et fonctionnement

    En 2012, Carole Zalberg est élue au comité d’administration de la SGDL. Cette société est créée en 1838 par Balzac, ce qui explique peut-être son image de « vieille dame un peu poussiéreuse », image que sa secrétaire générale déplore et souhaite aujourd’hui corriger.
    Initialement, la SGDL se développe dans le cadre de l’explosion du roman-feuilleton afin de défendre les droits des auteurs dont les textes se voient reproduits dans les journaux de province sans aucune rémunération. La SGDL avait alors pour but de recueillir et de répartir ces droits, et jouait le rôle d’agent auprès des journaux qui avaient conclu des contrats avec elle.
    Dans les années 1980, la SGDL se recentre sur l’aspect d’utilité publique. Elle développe ses actions sociales, culturelles et juridiques en décernant par exemple des aides, des bourses de création, en organisant des forums, etc.
    Elle organise également divers événements comme la soirée consacrée aux premiers romans durant laquelle sont proposés des temps de lecture et une table ronde animée par un libraire. « Cette soirée est tournée vers l’avenir, c’est un accueil dans la communauté des auteurs. »

    La SGDL a son siège à l’Hôtel de Massa dont elle possède la jouissance jusqu’en 2027. Elle vit des adhésions et legs d’écrivains, et compte aujourd’hui 6000 adhérents. Les auteurs qui souhaitent s’investir dans la SGDL le font bénévolement, d’abord avec le statut de stagiaire (avec un minimum d’une publication à compte d’éditeur), ensuite en tant que membre (avec trois publications), puis sociétaire (avec six publications). Ils peuvent alors être élus au comité. Tous les administrateurs sont bénévoles. Seuls le président et le secrétaire général sont défrayés. La SGDL s’appuie également sur une équipe salariée de douze personnes.
     
    Carole Zalberg insiste sur le fait que la Société n’est pas juste un syndicat d’auteurs. C’est une organisation qui est reçue par les éditeurs, les ministères, etc. et peut avoir un poids dans le monde littéraire. Ainsi, quand, en 2011, Google a souhaité numériser tous les livres indisponibles sans demander au préalable l’avis des auteurs ou des ayants droit, c’est la SGDL qui s’y est opposée la première et a permis que s’ouvre un débat sur la juste procédure à suivre dans une telle entreprise.
    Carole Zalberg voudrait qu’à terme la SGDL devienne une véritable « maison des auteurs  », à la fois en tant qu’institution et en tant que lieu où ils pourraient se rencontrer autour d’un café ou venir travailler, afin de renforcer la solidarité de ce monde professionnel très individualiste et atomisé.


    1, 2, 3, actions !

    Cependant, concevoir une « maison des auteurs », c’est aussi consentir à se confronter aux réalités les plus prosaïques de la vie et du travail des écrivains. C’est pourquoi la SGDL offre services et assistance aux auteurs en proposant des consultations juridique et sociale.


    L’action juridique

    Tout d’abord, Carole Zalberg explique qu’il faut dépasser le sentiment qu’une première publication est un accomplissement qui se suffit à lui-même : « il faut sortir de l’état d’esprit qui veut que ce soit merveilleux d’être publié, quelles que soient les conditions concrètes que l’éditeur propose. » On peut lire à ce sujet sa tribune sur le "complexe de trivialité". Les auteurs qui débutent ont en effet tendance à ne pas se mettre suffisamment au fait de leurs droits ou des usages du secteur de l’édition, ce qui peut leur valoir par la suite de fortes déceptions ou des conflits avec leurs éditeurs.

    Afin de prévenir tous problèmes ou litiges que pourrait rencontrer un auteur nouvellement publié, la SGDL met à disposition de ses membres une consultation juridique gratuite. Elle conseille l’auteur dans ses démarches, qu’elles aient pour objet la négociation d’un contrat, la discussion de clauses particulières ou la réalisation d’un dossier juridique. La SGDL peut également décider dans certains cas d’assumer les frais de justice en cas de contentieux juridiques. Mais tout est fait pour éviter le procès.

    Dans le même temps, comme l’indique le site de la SGDL que Carole Zalberg nous encourage à visiter, « la SGDL et le Syndicat national de l’édition (SNE) ont mis en place à l’automne 2010 une instance de liaison qui réunit à parité des représentants des auteurs de l’écrit et des représentants des éditeurs de livres et qui est destinée à régler à l’amiable des difficultés d’application contractuelles entre auteurs et éditeurs  ».

    La SGDL, dans le cadre du Conseil permanent des Écrivains (CPE), créé en 1979 et qui rassemble l’essentiel des organisations d’auteurs du livre (écrivains, traducteurs, dramaturges, scénaristes, illustrateurs, photographes) œuvre ainsi à une meilleure reconnaissance du statut de l’auteur. C’est ce travail de discussion et de négociation qui a abouti, notamment, au nouveau contrat d’édition entré en vigueur au 1er décembre 2014. Carole Zalberg souligne qu’elle voit émerger une génération d’éditeurs sensibles à la précarité croissante des auteurs et prêts à faire des efforts pour que les rapports soient plus transparents et les relations apaisées.

    Parallèlement, Carole Zalberg souligne l’implication de la SGDL dans les débats actuels concernant le virage numérique. Il s’agit avant tout d’avertir l’auteur sur les opportunités mais aussi les limites de ce champ de publication rapide. Bien que le numérique supprime un certain nombre de coûts de production et de distribution, les éditeurs ont tendance à proposer aux auteurs des pourcentages de rémunération qui restent bas. La SGDL travaille à obtenir pour les auteurs des conditions contractuelles plus favorables, dans un champ dont la rentabilité reste pour le moment très incertaine.

    Cela correspond au rôle majeur de la SGDL, qui consiste à réaffirmer le statut de l’auteur au sein d’un marché du livre souvent précaire. L’enjeu principal reste de savoir pourquoi la rémunération des auteurs stagne autour de 10% du prix des livres hors-taxe depuis l’instauration du droit d’auteur au XVIIIe siècle. Les auteurs sont la raison d’être et le centre de la chaîne du livre, et pourtant ils sont les seuls acteurs de cette chaîne qui ne peuvent pas, dans la très grande majorité des cas, prétendre vivre de leur activité. Essayer de changer cette situation passe pour elle par l’instauration d’une plus grande confiance entre éditeurs et auteurs : abolition de la culture du secret autour des chiffres de vente, afin que les auteurs puissent comparer leurs rémunérations et se fédérer s’ils les jugent insuffisantes ; délivrance plus méthodique et transparente des redditions de compte qui font le bilan des ventes d’une année civile, et qui constituent d’ailleurs une obligation légale. 

    Une autre piste est de renforcer les revenus annexes, ceux tirés de lectures, de participations à des festivals, des rencontres, et qui constituent pour certains auteurs une rémunération non négligeable : la SGDL a participé à consolider la régulation de ces activités en définissant les bons usages en matière de rémunération.
     

    L’action sociale

    « Nous avons une assistante sociale à demeure » nous déclare Carole Zalberg. Elle est là trois jours par semaine et conseille les membres mais aussi les non-membres (ayant publié à compte d’éditeur) qui connaissent des situations difficiles. La SGDL pilote par ailleurs avec le CNL une commission qui délivre des aides financières d’urgence (avec un budget de 40.000 euros annuels) aux auteurs dans le besoin. Ce soutien permet de subvenir à certaines nécessités quotidiennes, mais est aussi ressentie, souligne Carole Zalberg, « comme une forme de reconnaissance, de validation du statut d’auteur ».
     
    L’action sociale de la SGDL se préoccupe aussi des conditions de logement et de travail des auteurs. Une réflexion est ainsi en cours sur la possibilité de permettre aux auteurs d’accéder à des ateliers-logements, comme il en existe pour d’autres types d’artistes.
     
    La SGDL s’est aussi engagée pour le développement de la formation continue des auteurs, qui peut les aider à changer de domaine d’écriture (du roman au scénario, de la BD au théâtre…) ou à acquérir des compétences valorisables sur le marché de l’emploi. La structure chargée de cette formation continue est l’AFDAS.
     
    Elle propose elle-même à ses membres ainsi qu’aux adhérents SOFIA, Charte et ATLF, des sessions de professionnalisation à l’état d’écrivain qui rencontrent un très grand succès.
     
    Toutes ces actions participent de la volonté de cette institution de prémunir l’auteur contre les difficultés économiques et matérielles. Le parti pris est de ne plus considérer que la précarité des auteurs est un phénomène normal, le « prix à payer » d’une existence d’artiste, mais de montrer au contraire qu’elle peut nuire à l’investissement personnel dans l’écriture, et doit être combattue.
     
    L’action culturelle

    Le dernier volet des actions de la SGDL est l’action culturelle. La SGDL cherche à encourager la création, à donner de la visibilité à des auteurs encore peu connus, ou encore à créer des passerelles entre les disciplines. L’hôtel de Massa, situé dans le XIVe arrondissement de Paris, est une plateforme idéale pour l’épanouissement de cette action culturelle, mais celle-ci a aussi lieu lors d’opérations hors-les-murs. La SGDL organise ainsi des rencontres, des débats, des lectures publiques, un forum annuel, etc.

    D’autre part, des dotations sont décernées afin d’encourager la création littéraire contemporaine. Elles consistent en des prix (d’une enveloppe de 70.000 euros par an) et en des bourses de création (assurées par des legs). Au-delà de la récompense financière, ces dotations participent à la reconnaissance des auteurs et viennent soutenir des projets collectifs.

    À travers les propos de Carole Zalberg, la Société des Gens de Lettres apparaît comme une institution centrale dans la recomposition du champ littéraire contemporain. Les bouleversements rapides du monde du livre, à travers la concentration éditoriale, ou le virage numérique, ne font que rendre plus aiguë la nécessité d’une implication et d’une mobilisation collective des auteurs.

    Plus d’informations sur le site de la SGDL : www.sgdl.org

    Billet

    Carole Zalberg est venue nous parler afin de « dépoussiérer une institution vieille de plus de 170 ans ». En effet, combien d’entre nous ne connaissent la Société des Gens De Lettres que de nom, par ouï-dire, par de lointains échos… ? Il s’agirait alors comme le préconisait le poète Alain Bosquet dans Sonnets pour une fin de siècle (1980), de « remettre Pégase sur pneus, un radar entre les ailes », c’est-à-dire de prendre le pouls des réalités économiques et matérielles de l’auteur en France aujourd’hui.
    Ainsi, « Quand sommes-nous ? » demeurera sans doute la première et dernière question qui ne cessera d’animer l’auteur au sein de son habitat naturel… avant de saisir une fois pour toute la balle au bond de la modernité.

    Thomas Goguet
     
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