Rencontre avec Hélène Fiamma
Compte-rendu de la rencontre avec Hélène Fiamma du 4 novembre 2014, par Alix Rampazzo et Claire Finch
Un éditeur, c’est quoi ? Un marchand de livres. Face aux étudiants du master de création littéraire, Hélène Fiamma s’est exprimée, tout à fait singulièrement, à propos d’une fonction à la fois fantasmée et redoutée par tous ceux qui souhaitent publier : celle d’éditrice. Depuis janvier 2014, Hélène Fiamma est directrice éditoriale de Payot & Rivages. Elle a dirigé la collection GF (Littérature) et le domaine de l’Histoire chez Flammarion pendant 14 ans, et fait la promotion de la littérature française en Angleterre, par le biais de sa position de responsable du département livres à Londres (Institut français du Royaume-Uni). Avec éclat et bonne humeur, Hélène Fiamma évoque son parcours dans l’édition, ses stratégies pour cultiver une forme de créativité, et le travail nécessaire pour vendre les titres français à l’étranger.
Premiers pas dans l’édition
Née au Maroc, Hélène Fiamma monte à Paris pour passer le bac. Elle s’intéresse alors avant toute chose aux livres et à la lecture, sans pour autant souhaiter mener une carrière d’écrivain. Après des études de lettres et de sciences humaines, elle commence par faire des stages’ ce qui est presque un passage obligé dans le milieu littéraire’ puis travaille à Flammarion en tant qu’assistante d’édition. Le choix de l’édition, plutôt que d’autres métiers de la littérature, correspond à son désir de sociabilité : « Travailler seule chez moi, je ne suis pas capable », dit-elle. Hélène Fiamma ajoute qu’elle préfère s’impliquer dans la vie de bureau, et travailler en collaboration avec les auteurs et les collègues. Elle nous donne une vision réaliste de son premier emploi, caractéristique d’un début de carrière dans l’édition. En tant qu’assistante d’édition, on lit tout, et on s’implique dans le travail de préparation de copie. C’est un travail rigoureux, où il faut passer un texte au tamis, à la recherche d’incohérences factuelles, de fautes de langue, avant de transmettre le texte au correcteur, qui porte un dernier regard sur la propreté typographique et orthographique du texte avant qu’il ne soit imprimé. Ces étapes sont d’autant plus importantes que tous les écrivains ne sont pas rigoureux ou doués d’une orthographe irréprochable, contrairement à ce que l’on pourrait croire. La préparation de copies laisse peu d’espace à la décision personnelle, mais c’est un travail qui se trouve au fondement de toute maison d’édition, et qu’il est bon d’avoir pratiqué si on veut faire ce métier.
En se tournant vers l’édition, Hélène Fiamma a fait le choix d’un travail éloigné de la pratique solitaire et artistique de l’écrivain, mais tout à fait créatif. Si elle n’emploie pas le terme d’industrie créative, on sent tout à fait, à entendre ses propos, que l’édition appartient désormais pleinement à ce secteur de l’économie culturelle. Hélène Fiamma dit assumer pleinement son rôle de « marchande de livres », et la double dimension, littéraire et économique, des productions d’une maison d’édition. Elle n’hésite pas à se présenter aussi comme une commerciale, avec d’autant plus d’aisance qu’elle figure la face joyeuse et passionnée des réalités économiques.
Diriger une collection
En 2003, Hélène Fiamma devient directrice de la collection GF Littérature, toujours chez Flammarion, où elle se voit aussi confier le domaine de l’Histoire et de l’Histoire littéraire. En tant que directrice de collection, Hélène Fiamma a été amenée à agir et à réfléchir très spécifiquement, avec l’éditrice Charlotte von Essen, sur la forme du livre, sur l’objet en lui-même. Lors de sa prise de fonctions, elle prend conscience de ce que la GF est devenue une collection très chère, ce qui est contraire à l’objectif recherché par Louis Audibert et Charles-Henri Flammarion : ouvrir au grand public des œuvres classiques, le plus souvent difficiles d’accès, et mettre à disposition les derniers états de la recherche. D’une certaine façon, c’est une ouverture de la parole des spécialistes aux profanes. La GF, comme le dit Hélène Fiamma dans un entretien, c’est la collection des honnêtes hommes du XXIe siècle. Mais qui sont-ils exactement ? Essentiellement des lycéens, des étudiants, des enseignants et des passionnés de littérature.Hélène Fiamma évoque la fabrication matérielle et créative du livre. En fonction de la collection et du directeur éditorial, ce travail change du tout au tout. L’aspect physique du livre autant que le contenu sont le résultat d’un processus collectif et de la personnalité d’une directrice de publication.
Depuis son arrivée chez Payot & Rivages, Hélène Fiamma poursuit son travail sur l’identité graphique des livres. Elle prend l’exemple de la collection « Les sautes d’humour de’ », qui inclut Les sautes d’humour de Jane Austen et Les sautes d’humour de Winston Churchill. Les suggestions qu’elle a pu faire avec l’éditeur de la collection, Mario Pasa, ont été complètement réinterprétées par le graphisté ?ric Doxat : l’idée initiale, plutôt vintage, a pris en fin de compte une tournure très pop. Des profils en technicolor sont dédoublés comme sur une carte à jouer. Résultat : pour cette collection, Payot a réussi à trouver une identité graphique forte et qui unifie tous les ouvrages de la collection.
Promouvoir la littérature française à l’étranger
Or, c’est précisément contre ces déclarations universalisantes et monolithiques à propos du livre français que Hélène Fiamma lutte lors de ces années londoniennes. Alors que 3% seulement des livres qui sortent dans le monde anglo-saxon sont des traductions, il s’agit de susciter la curiosité d’éditeurs qui peuvent avoir l’impression que le monde anglophone est suffisamment divers pour ne pas avoir besoin de chercher de bons auteurs dans d’autres aires linguistiques. De ce fait, des auteurs qui bénéficient en France d’une grande notoriété peuvent n’être pas du tout traduits en anglais, ou traduits mais avec des chiffres de vente tout à fait confidentiels. Jean-Marie-Gustave Le Clézio ou Patrick Modiano étaient par exemple encore très peu connus avant l’attribution de leurs prix Nobel.
Si ce manque d’ouverture rend l’exercice souvent difficile, il s’agit de profiter des enthousiasmes parfois éphémères d’éditeurs qui ont peur de passer à côté de la dernière tendance. Le succès de Millenium de Stieg Larsson, par exemple, a incité les éditeurs anglais à voir également ce qu’il se passait du côté du roman policier en littérature française. Persépolis de Marjane Satrapi a contribué à attirer l’attention sur le « roman graphique », plus facile à vendre sous ce nom que sous celui, moins légitime, de « bande dessinée ».
Hélène Fiamma dit avoir aimé ce travail, tout en reconnaissant que promouvoir la culture française parce qu’elle est française, ou capitaliser sur des vogues comme « l’effet Amélie Poulain », suppose un chauvinisme dont elle se sent assez distante. L’expérience lui sert en revanche beaucoup chez Payot & Rivages, où son « regard international » ne la quitte pas.
Payot & Rivages
L’esprit de collaboration et de brainstorming accompagne Hélène Fiamma chez Payot & Rivages, où elle réunit les comités tous les 15 jours, pour parler des projets en train de se réaliser et des problèmes éventuels. Mais surtout, elle continue son travail de promotion de la littérature. Promotion, non seulement dans le sens de vendre des livres, mais surtout dans celui de transmettre une envie, celle qu’Hélène Fiamma ressent en tant qu’éditrice et lectrice. Quand un de nos collègues lui demande si elle s’est déjà sentie comme une dénicheuse d’ œuvres peu récompensées, donc trop « en avance », elle répond : « On n’est pas dans l’avance, on est dans l’envie. Est-ce qu’on a envie de faire ou pas ? Un texte ne peut pas exister sans qu’il y ait une personne qui le lise et dise, « C’est génial. » Et le reste, ajoute-t-elle, c’est la percolation de ce sentiment », la transformation de ce désir en volonté éditoriale.
Par Alix Rampazzo et Claire Finch