Rencontre avec Benoît Peeters
 
	Compte-rendu de la rencontre du 14 avril 2015 avec Benoît Peeters, par Sven Hansen-Løve, Anne Pauly et Juliette Rivière
 Auteur polyvalent, Benoît Peeters est scénariste, biographe, essayiste, mais aussi romancier. Il est également spécialiste de l’ œuvre de Hergé, et théoricien de la bande dessinée ainsi que du story-board. Il est le scénariste de la longue série de bandes dessinées Les Cités Obscures, qui compte seize volumes publiés chez Casterman depuis 1983. Il a aussi réalisé trois courts métrages, plusieurs documentaires et un long métrage, Le Dernier Plan.
Auteur polyvalent, Benoît Peeters est scénariste, biographe, essayiste, mais aussi romancier. Il est également spécialiste de l’ œuvre de Hergé, et théoricien de la bande dessinée ainsi que du story-board. Il est le scénariste de la longue série de bandes dessinées Les Cités Obscures, qui compte seize volumes publiés chez Casterman depuis 1983. Il a aussi réalisé trois courts métrages, plusieurs documentaires et un long métrage, Le Dernier Plan.Dernièrement, il a monté l’exposition Revoir Paris’ en collaboration avec François Schuiten, le dessinateur des Cités Obscures’ qui s’est déroulée à la Cité de l’architecture du 20 novembre 2014 au 9 mars 2015.
Né à Paris en 1956, Benoît Peeters passe son enfance à Bruxelles. C’est à 12 ans, sur les bancs de l’école, qu’il rencontre François Schuiten, son frère de création. Tous deux sont passionnés de BD et décident de créer un « journal de l’école ». Peeters écrit, Schuiten dessine. Ils multiplient les pseudonymes qui donnent l’illusion d’une effervescence et emportent l’adhésion de leurs camarades. Le père de François, architecte reconnu et peintre amateur, les initie à la peinture à l’huile. Les samedis se passent dans les musées, les dimanches devant le chevalet. A ce moment-là, Benoît Peeters voue un amour à la peinture au moins aussi grand que celui qu’il porte à la littérature. « Mais j’étais beaucoup moins doué que François, déclare-t-il, et je me suis vite concentré sur l’écriture. » Après avoir quitté Bruxelles pendant quelques années, le temps de préparer une licence de philosophie à la Sorbonne, il y retourne à l’âge de 21 ans. Entre temps, il a publié un premier roman, Omnibus, aux éditions de Minuit. François Schuiten, de son côté, a déjà publié deux albums aux Humanoïdes Associés. Ils reprennent contact et réalisent que leur complicité d’enfance est toujours vivace. En parallèle, Peeters prépare son diplôme de l’ école pratique des hautes études sous la direction de Roland Barthes, avec pour sujet un des célèbres épisodes de Tintin, Les Bijoux de la Castafiore. Ce travail deviendra un livre intitulé Lire Tintin, Les Bijoux ravis, une lecture minutieuse de l’album. Peeters est aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs connaisseurs de l’ œuvre de Hergé et il est également l’auteur de Hergé, fils de Tintin, une biographie de référence sur le créateur de Tintin.

Ils sont d’abord confrontés à un certain conservatisme de la part de leurs lecteurs qui, d’un album à l’autre, veulent retrouver un univers cohérent et unifié, alors que Schuiten et Peeters souhaitent justement proposer un monde hétérogène et s’aventurer’ bien avant l’arrivée d’Internet’ dans quelque chose de traversant, de non-linéaire, dans une sorte d’ensemble impossible, à l’image des nœuds borroméens de Lacan (une figure où trois ronds, celui du réel, du symbolique et de l’imaginaire, s’entrelacent en une boucle impossible) ou du rhizome de Deleuze et Guattari, où chaque élément, pris dans une organisation non-hiérarchique, peut en affecter ou en influencer d’autres.

 L’enthousiasme du public français pour la série s’est vérifié à l’étranger : la réception a été très bonne, notamment en Allemagne, mais aussi au Japon, où Les Cités Obscures ont été rassemblées en quatre gros volumes, en conservant le sens de lecture occidental. Peeters explique qu’il a fait attention à choisir des noms pour les personnages qui ne soient pas exclusivement francophones, afin qu’ils puissent passer les frontières, être conservés dans les différentes traductions.
L’enthousiasme du public français pour la série s’est vérifié à l’étranger : la réception a été très bonne, notamment en Allemagne, mais aussi au Japon, où Les Cités Obscures ont été rassemblées en quatre gros volumes, en conservant le sens de lecture occidental. Peeters explique qu’il a fait attention à choisir des noms pour les personnages qui ne soient pas exclusivement francophones, afin qu’ils puissent passer les frontières, être conservés dans les différentes traductions.En outre, cette année, un pas de plus sera franchi vers l’adaptation au public asiatique, à l’occasion de la traduction de la série en chinois simplifié’ alors que la Chine n’a pas de tradition de la bande dessinée, et que les Cités obscures s’adossent à beaucoup de références occidentales.
 Schuiten et Peeters ont toujours travaillé en étroite collaboration et se sont naturellement partagé les tâches, les thèmes étant développés à deux. Peeters explique que lui et son complice ont souvent travaillé à la même table. Ainsi, certains story-boards ont été créés en direct, au fil des pages, les dialogues ne s’écrivant parfois qu’après coup. Benoît Peeters sera toute sa vie un habitué du duo. Il a d’ailleurs théorisé son expérience dans un ouvrage remarquable intitulé Nous est un autre’ enquête sur les duos d’écrivains’ avec Michel Lafon’ publié chez Flammarion’ en 2006. Il évoque son travail avec Anne Baltus, les livres de photographies réalisés avec son ancienne compagne Marie-France Plissart, mais aussi sa collaboration, différente mais tout aussi intense, avec Frédéric Boilet pour les albums Love Hotel en 1993, Tokyo est mon jardin et Demi-tour en 1997. Comme à l’époque de ces créations, Boilet résidait au Japon, l’élaboration du livre et la discussion autour du scénario sont devenues un véritable dialogue à distance, fait de lettres mais surtout de faxes, un support dont Peeters relève avec amusement toute l’ambiguïté : archivable, le fax s’efface pourtant avec le temps’ Précisons que l’archive est un thème central dans le travail de Peeters et dans les Cités obscures.
Schuiten et Peeters ont toujours travaillé en étroite collaboration et se sont naturellement partagé les tâches, les thèmes étant développés à deux. Peeters explique que lui et son complice ont souvent travaillé à la même table. Ainsi, certains story-boards ont été créés en direct, au fil des pages, les dialogues ne s’écrivant parfois qu’après coup. Benoît Peeters sera toute sa vie un habitué du duo. Il a d’ailleurs théorisé son expérience dans un ouvrage remarquable intitulé Nous est un autre’ enquête sur les duos d’écrivains’ avec Michel Lafon’ publié chez Flammarion’ en 2006. Il évoque son travail avec Anne Baltus, les livres de photographies réalisés avec son ancienne compagne Marie-France Plissart, mais aussi sa collaboration, différente mais tout aussi intense, avec Frédéric Boilet pour les albums Love Hotel en 1993, Tokyo est mon jardin et Demi-tour en 1997. Comme à l’époque de ces créations, Boilet résidait au Japon, l’élaboration du livre et la discussion autour du scénario sont devenues un véritable dialogue à distance, fait de lettres mais surtout de faxes, un support dont Peeters relève avec amusement toute l’ambiguïté : archivable, le fax s’efface pourtant avec le temps’ Précisons que l’archive est un thème central dans le travail de Peeters et dans les Cités obscures. En 2010, Benoît Peeters a publié la première biographie du philosophe Jacques Derrida, l’accompagnant d’un journal de bord doublé d’une réflexion sur le genre biographique, Trois ans avec Derrida, les carnets d’un biographe (Flammarion). Saluée par la critique, cette biographie a déjà été traduite en anglais (Polity Press), allemand (Suhrkamp), espagnol (Fondo de Cultura Economica), portugais (Civilizaçao Brasileira), chinois (Renmin University Press) et japonais (Hakusuisha). Benoît Peeters est un habitué du genre : son premier roman, Omnibus, paru en 1976, est une biographie rêvée de Claude Simon tandis que Le Monde d’Hergé, paru en 1983, décrit avec ampleur et précision l’univers du père de Tintin. Pourtant, retracer le parcours de cette figure de la philosophie, aussi éminente qu’attachante, a été pour lui une expérience d’une grande intensité.
En 2010, Benoît Peeters a publié la première biographie du philosophe Jacques Derrida, l’accompagnant d’un journal de bord doublé d’une réflexion sur le genre biographique, Trois ans avec Derrida, les carnets d’un biographe (Flammarion). Saluée par la critique, cette biographie a déjà été traduite en anglais (Polity Press), allemand (Suhrkamp), espagnol (Fondo de Cultura Economica), portugais (Civilizaçao Brasileira), chinois (Renmin University Press) et japonais (Hakusuisha). Benoît Peeters est un habitué du genre : son premier roman, Omnibus, paru en 1976, est une biographie rêvée de Claude Simon tandis que Le Monde d’Hergé, paru en 1983, décrit avec ampleur et précision l’univers du père de Tintin. Pourtant, retracer le parcours de cette figure de la philosophie, aussi éminente qu’attachante, a été pour lui une expérience d’une grande intensité.
Derrida est le philosophe de la déconstruction. Avec cette magistrale biographie, Benoît Peeters a effectué le chemin inverse, vers la reconstruction d’une vie à partir de ses traces.
Avec ses premiers romans, Peeters a eu l’impression d’écrire une littérature pour les littérateurs, pour des gens qui ont fait de la lecture et de l’écriture leur profession. À l’époque où il publie aux éditions de Minuit, Jérôme Lindon lui conseille de continuer ses études, arguant que la littérature ne peut pas être un métier. Mais Benoît Peeters ne suit pas son conseil, et fait très tôt le choix de vivre de son travail d’auteur. C’est par le biais de la bande dessinée qu’il parvient à atteindre un public beaucoup plus large. Bien entendu, dans ce genre aussi, une part importante de la production reste assez médiocre, mais c’est tout compte fait le cas, souligne-t-il, dans tous les domaines. « Je voulais concilier une exigence intellectuelle avec le fait de gagner ma vie », explique-t-il finalement.
Un jour où Benoît Peeters confiait à Roland Barthes sa volonté d’étudier Les Bijoux de la Castafiore d’Hergé selon la méthode que lui avait employé dans S/Z, Barthes, qui avait lu le premier roman de Peeters, s’étonna de ce projet : « Vous êtes déjà de l’autre côté. » Toute sa vie, Barthes a regretté de n’avoir pas écrit de romans, alors que, souligne Peeters, il l’avait faite, son œuvre, il avait inventé dix genres. En réalité, peut-être ces séparations entre formes littéraires sont-elles trop artificielles : peut-être n’y a-t-il pas « d’autre côté ».
Par Sven Hansen-Løve, Anne Pauly et Juliette Rivière